
Alors que les Jeux olympiques se rapprochent et que la pression monte pour les athlètes du monde entier, nous avons eu l’honneur de discuter avec Fabien Abejean, expert en psychologie du sport. Dans cette entrevue, Fabien partage sa vision et ses conseils sur la préparation mentale. Il aborde également les rôles de l’entraineur et des parents dans le développement des jeunes.
Parlez-nous de votre parcours et de vos fonctions aujourd’hui.
J’ai toujours été un grand amoureux du sport en général. J’ai grandi en Afrique jusqu’à l’âge de 13 ans, et puis, je suis rentré en France où j’ai suivi la passion paternelle et intégré un club de soccer à un niveau professionnel. Le fait de commencer assez tard le sport de haut niveau m’a permis de développer une forme de force mentale pour compenser mes lacunes techniques. Côté développement personnel, je suis sourd d’une oreille, il faut donc que je lise les comportements.
Arrivé au Canada, j’ai travaillé assez vite avec des sportifs de haut niveau et avec notamment l’équipe nationale de patin de vitesse, une fédération qui brigue des médailles chaque année. Par la suite, j’ai aussi évolué avec l’équipe nationale de plongeon, avec des athlètes de snowboard ou encore de judo, ce qui m’a permis d’aller à plusieurs Jeux olympiques, été comme hiver.
Actuellement, je travaille avec les équipes nationales de trampoline, de natation artistique, avec les joueurs du CF Montréal et puis avec des joueurs de tennis professionnels. Même si j’évolue au quotidien avec des sportifs professionnels, je trouve toujours intéressant de rester en contact avec les plus jeunes pour comprendre leur évolution. Chaque génération est différente et, tous les 4-5 ans, leurs façons de penser évoluent.
Depuis 7-8 ans, j’ai vraiment compris l’importance de l’entraineur. Alors, je me suis consacré un peu plus sur le développement des entraineurs, à travers des comités, du mentorat ou en les aidant à comprendre comment, mentalement, on peut aider l’athlète, mais aussi comment l’entraineur est responsable de créer un environnement pour que l’athlète se sente bien.
À travers tous les athlètes et les sports différents, quel est sont les facteurs clés de la préparation mentale que vous avez pu identifier?
Pour se rendre au haut niveau, l’engagement est important. Et quand on parle d’engagement, cela ne concerne pas uniquement la responsabilité de l’athlète, c’est aussi son coach, son staff, etc.
Un autre élément primordial, selon moi, est l’adaptation. Quand on débute le sport et que l’on aspire à être un athlète de haut niveau ou même juste à être actif pour la vie, on passe par des étapes lors desquelles on a des succès, des déceptions ; on grandit en tant qu’adolescent, on se cherche en tant qu’identité personnelle, on passe par différents milieux sociaux. L’adaptation, la capacité à être résilient, s’avère primordiale lors de ces différentes étapes.
On a tendance à l’oublier quand on aborde la notion de performance mais le sport reste une école de vie. Souvent, les jeunes qui évoluent bien dans le sport de manière saine sont aussi là parce que le concept de résultat de performance n’a pas été mis de l’avant trop tôt.
Pour résumer, l’engagement de l’athlète, son équilibre dans son environnement et sa capacité à s’adapter et à rebondir sont importants.
Pouvez-vous nous parler de l’environnement des joueurs et notamment de l’entraineur?
L’entraineur doit avoir la responsabilité de créer un environnement sain et stimulant pour le jeune. Il doit aussi faire l’effort de comprendre le jeune plutôt que d’essayer d’imposer de manière autoritaire un modèle de développement. Aujourd’hui, pour s’adapter aux exigences des nouvelles générations, un entraineur doit être un bon pédagogue. Il doit être capable de construire des situations dans lesquels le jeune va s’épanouir, et ne pas simplement connaitre le sport et transmettre ce qu’il faut faire. Il faut être capable de créer une situation d’enseignement qui est adaptée au jeune.
Quand on parle d’environnement des joueurs, on pense aussi aux parents.
Les parents jouent principalement un rôle de soutien émotionnel, ils ont la responsabilité de créer des relations saines et collaboratives avec les staffs et les entraineurs. Dans les sports populaires comme le soccer ou le tennis où tout le monde a une opinion, c’est dur en tant que parent de laisser aller et de ne pas vouloir émettre son opinion ; d’autant plus parce qu’on connait son enfant et on peut supposer connaitre ce qui serait bon pour lui.
Plus le jeune grandit, plus il faut avoir un support émotionnel, un support logistique, et puis surtout collaborer avec l’environnement de performance de leurs jeunes pour permettre de trouver des solutions plutôt que d’être dans l’opposition.
Quel point mettre en lumière pour un jeune qui veut être compétitif au tennis spécifiquement?
Le tennis n’est pas un sport à développement hâtif, je pense que les jeunes ont toujours tout intérêt à garder des cercles sociaux, à éventuellement pratiquer d’autres sports pour avoir une forme de valorisation ailleurs que dans le tennis. Cela nous amène à parler de notions d’équilibre de vie, on parle aussi d’ouverture d’esprit. Et ces notions d’équilibre et d’ouverture concerne aussi les clubs, entraineurs pour ne pas faire du tennis quelque chose d’exclusif auprès des jeunes de moins de 13-14 ans. La meilleure façon pour que des jeunes soient impliqués dans le tennis est de les laisser vivre leur vie de jeune et de leur laisser faire d’autres choses plutôt que cela devienne une pression d’être à l’entrainement.
Avez-vous une expérience qui vous a marqué sur l’importance de la préparation mentale?
On a toujours besoin de support dans la vie. Parfois, je peux être cette personne, parfois ce sont les parents, l’entraineur, le préparateur physique, etc. Pour citer une expérience, je me souviens d’une finale olympique. Vingt minutes avant de rentrer pour sa finale, un athlète que je connaissais bien, qui avait déjà remporté de nombreux titres, et que j’accompagnais, s’est mis à douter en se demandant s’il allait être capable, s’il était assez fort. Je lui demande alors s’il lui est déjà arrivé d’avoir ce genre de doutes et pensées avant une course et il me répond par l’affirmative. Je lui dis alors que c’est normal et qu’il n’a pas de questions à se poser, qu’il est juste sous pression parce que c’est une finale.
La belle histoire, c’est qu’il gagne la course. Aujourd’hui, quelques temps après, on se reparle de cet épisode qui lui a fait comprendre, qu’à travers l’immensité du moment et des émotions, c’est normal d’avoir des périodes de doutes ou de stress, mais ce n’est pas synonyme d’échec.
Que pensez-vous de la citation de Billie Jean King « Pressure is a privilege »?
Apprendre à aimer les situations n’est pas forcément inné, mais cela se travaille. Avoir la qualité de concentration, connaitre la raison de cette situation de stress ou encore savoir que l’on est supporté quand on est face à une situation de stress, ce sont des choses qui, à travers le temps, vont nous permettre d’appréhender une situation anxiogène comme une manifestation de symptômes dans notre corps, et non plus comme un danger. Mais tout cela se travaille et demande de passer par des moments où on essaie des choses, qui ne fonctionnent pas toujours. Et puis, arrivé à un moment, on peut aimer ces situations, aimer sentir son cœur battre sous la pression, aimer avoir des papillons dans le ventre parce que l’on sait que l’on va être bon dans ce moment.
Pensez-vous qu’être fort mentalement est une faculté innée ou que tout le monde peut le devenir?
Je pense que tout le monde a la capacité de grandir et à être adaptif ; pas nécessairement devenir un champion aux yeux de la société, mais devenir un champion à ses propres yeux et atteindre ses objectifs. Il y a parfois des événements dans des carrières (échec d’une qualification, finale perdue, etc) qui vont générer la volonté de s’investir. Ces événements, s’ils sont bien gérés en termes de santé mentale, peuvent être des stimulants. Est-ce qu’il faut pour autant générer ces situations d’échec, les rendre obligatoires pour rendre un athlète plus résilient? Non, parce qu’on ne sait jamais comment un athlète va réagir à une situation d’une telle déception.
J’ai continuellement vu des gens grandir à leur échelle. Parfois, ces personnes ont des médailles d’or olympiques autour du cou. Parfois, ils arrêtent le sport, mais en ayant énormément grandi et aujourd’hui ces personnes sont adaptives, résilientes, fonctionnelles dans un milieu et sont aussi allées au maximum de leur potentiel.