Histoire et anecdotes des débuts du tennis

par Stéphane Trépanier(tiré du Tennis-mag numéro 14 – juin 1990)

Introduction

Vous êtes-vous déjà demandé à qui vous deviez vos indispensables vendredis soirs et dimanches matins, occupés à suer à grosses gouttes pour «courailler» une petite balle jaune poilue ? Moi, je me suis posé la question. Eh bien, sachez que l’homme que vous devez remercier pour vos moites performances sportives, ou après qui vous devriez sacrer après d’humiliantes défaites, est Walter Clapton Wingfield. C’est ce major anglais, qui portait le pompeux titre de capitaine du premier régiment des Dragons de la reine Victoria, qui a fait breveter le 23 février 1874 un jeu au nom rébarbatif : le sphairistike. Ce loisir, pour bourgeois sur pelouse, allait rapidement devenir le tennis.

L’originalité de cet inventeur britannique aura été d’avoir l’âme un peu nipponne et ainsi d’avoir eu le flair de modifier avec intelligence un vieux jeu sur le déclin. Tel un Japonais qui améliore avec succès ce que d’autres ont inventé, Monsieur Wingfield crée une version portative pour surface gazonnée du médiéval jeu de paume.

Le jeu de paume

Mais à quoi ressemblait ce jeu de paume ? C’est simple, il ressemblait à un tennis intérieur, mais en plus compliqué pour ses règles, en plus approximatif pour ses techniques et ses équipements. Ses origines sont d’abord monarchiques, les rois de France étant les plus fidèles adeptes du jeu de paume. On dit que Henri II fut le plus grand joueur de l’histoire. Louis X doit sa mort à ce sport, car après une exténuante joute, il alla se rafraîchir dans la cave de son château et contracta une pneumonie qui le tua quelques jours plus tard.

Par comparaison au tennis, le jeu de paume possédait un filet plus haut et davantage incurvé, un terrain plus vaste et une surface dallée très dure. Les raquettes étaient rudimentaires et leurs cordages étaient mous. La balle utilisée ressemblait à un «aki». Elle était faite de laine comprimée, entourée de cuir. Ses rebonds étaient modestes et c’est pour cela que le jeu exigeait des surfaces excessivement dures, afin que cette grossière balle ne s’écrase au sol, le premier coup de raquette venu. Le jeu de paume doit son nom à ses premiers adeptes, intrépides qui le pratiquaient à main nue. Après quelques siècles de contusions et de fractures, les plus douillets et les plus éclopés d’entre eux recouvrirent leur dextre d’un gant protecteur, puis d’un appendice de bois qui prit graduellement la forme d’une raquette. Cet ancêtre que fut le jeu de paume légua au tennis une bonne partie de son vocabulaire, à commencer par son nom. En effet, le mot tennis était le vocable anglais qui désignait à l’origine le jeu de paume.

« Tenez »

Cette traduction, plutôt phonétique, viendrait de l’avertissement que leu joueur lançait avant de servir. Par tradition, afin d’intimider l’adversaire, le serveur criait «tenez» avant de frapper la balle. Une sorte de «tiens-toi» que Ding et Dong reprirent à leur compte quelques siècles plus tard. L’observateur anglais interpréta le cri du serveur comme étant le nom du sport. Il le répéta en déformant d’une manière britannique. Les exemples de ce genre pullulent au tennis. Le mot «court», qui désigne le terrain, doit probablement son utilisation au fait que le jeu de paume se pratiquait à la cour du roi. Le sens du mot «service» provient de l’étiquette royale moyenâgeuse qui voulait que ce soit un serviteur qui mit la balle en jeu.

15, 30, 45 et jeu

La comptabilité singulière du tennis est également tributaire du jeu de paume. Cette façon de compter, par multiple de quinze, nous vient de ce jeu, issu tout droit du Moyen Âge où le chiffre 60 était le symbole numérique le plus répandu. À l’époque, on comptait le temps (60 minutes) et l’argent (un denier d’or valait 15 sous) de cette façon. C’est pourquoi on ne sait plus très bien aujourd’hui si c’est en faisant référence aux chiffres de l’horloge ou bien à la monnaie que l’on y pariait goulûment (incidemment, on appelait les jeux de paume des tripots) que l’on commença à compter 15, 30, 45 et jeu. On ne sait pas trop pourquoi le 45 a fait place au 40 dans le pointage. Certains croient qu’il s’agit simplement de l’utilisation d’un diminutif qui, avec l’usage, est devenu la règle. L’humain étant paresseux de nature, il était plus court de prononcer 40. Hypothèse contestée qui demeure néanmoins la seule.

L’expression «deuce» serait un emprunt culturel au système comptable du jeu de paume. Rendu à égalité, l’arbitre déclarait «à deux», ce qui signifiait que les joueurs étaient à deux points (consécutifs) de gagner le jeu. Ce «à deux» répété par des bouches anglaises aux Français, prît la forme écorchée de «deuce».
Mais revenons au major Wingfield et avouons qu’il doit beaucoup à l’apparition du caoutchouc en Europe. En effet, ce matériel malléable, extensible et surtout très rebondissant, permit pour la première fois de l’histoire de donner du ressort aux balles. Sans lui, aucune chance pour le tennis de naître sur les sols gazonnés des Îles Britanniques.

Le major Wingfield exploite donc les rebonds de ces nouvelles petites balles blanches et commercialise son jeu avec un succès immédiat. Rusé et mercantile avant tout, il diffuse en guise de publicité les noms des membres de la noblesse qui se sont procuré son «sphairistike» (une liste impressionnante de 238 nobles). Une façon habile d’attirer les snobs et les envieux.

Au début, son sport a une morphologie bigarrée. Le serveur doit se placer dans un petit losange au centre du terrain et tenter de frapper la balle dans le carré de service situé à l’extrémité de la surface de jeu. Le filet est accroché à des poteaux d’un mètre cinquante, ce qui constitue un défi de taille dans l’exécution de coups en parallèle. Finalement, pour ajouter à la singularité du jeu, le terrain a la particularité de se rétrécir à l’approche du filet, un peu comme un sablier ou une femme aux larges hanches et à la taille cintrée.

Chambardement de 1877

Cette configuration bizarre ne survécut pas très longtemps. Rapidement, on apporte des modifications d’une telle justesse, qu’aujourd’hui encore, après un siècle d’expérimentation, elles subsistent toujours. En 1877, c’est le grand chambardement. Le court devient rectangulaire et prend ses dimensions définitives. Le carré de service quitte le fond du terrain et se colle au filet. Par le fait même, le serveur perd son petit losange central et s’exécute pour la première fois à partir de la ligne de fond.

En 1880, après que l’on eut constaté le net avantage du serveur, on réduisit la superficie du carré de service (qui fut amputé de trois pieds sur sa profondeur). Enfin, en 1883, pour faciliter les échanges et réduire la domination de la volée, on abaissa le filet à la hauteur actuelle. Il aura donc fallu moins de dix ans au tennis pour trouver son juste équilibre.

Le mérite de la présentation du tout premier tournoi de tennis revient, on l’aura deviné, à Wimbledon et à son club de croquet aux finances précaires. L’histoire nous dit que le «All England Croquet Club», bien qu’ayant une excellente réputation, vivait pauvrement. Les amateurs dominicaux de ce loisir champêtre pour mailloches et boules de bois ne généraient que peu de recettes. Pour rentabiliser le club, on intégra ce nouveau sport qui semblait jouir d’une popularité croissante. C’est donc moins l’amour du sport que les préoccupations pécuniaires qui firent naître le «All England Croquet and Lawn Tennis Club».

En 1877 a lieu le premier tournoi. Un nombre impressionnant de 23 compétiteurs s’inscrivent. Le vainqueur est un certain Spencer Gore qui profite de sa grande taille pour systématiquement s’amener au filet et matraquer l’adversaire. Edberg et McEnroe n’ont rien inventé, Gore les a précédés à la volée cent ans plus tôt. Il faut dire cependant que ce premier champion bénéficiait largement de ce rempart qu’était un filet porté à 1,50 m aux extrémités et qui, en définitive, limitait au centre les retours d’un opposant décontenancé.

Premiers lobs

L’année suivante, un vacancier, planteur au Ceylan, Frank Hadow, s’inscrivit au tournoi à la manière d’un touriste égaré. Sa frêle charpente (il tient moins de l’armoire à glace que de la glacière de camping) et son jeu peu spectaculaire ne laissent pas deviner qu’il atteindra la finale. Rendu à l’ultime étape, contre toute attente, il «plante» Gore en trois sets consécutifs. Étonné lui-même de sa victoire, il ne comprend pas pourquoi personne avant lui n’a pensé à frapper la balle par-dessus la tête de ce grand efflanqué de Gore. Sans le savoir, ce petit homme observateur et fin stratège venait d’inventer le lob. De passage seulement, il ne participa à aucune autre compétition et disparut aussi spontanément qu’il était arrivé.

Le tennis en était à ses balbutiements, mais déjà il se répandait comme une épidémie transportée par l’énorme empire de la reine Victoria. La planète entière en sera atteinte, irrémédiablement.